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CGI

Il y a un an, l’IA générative était sur toutes les lèvres, promesse d’une révolution à venir dans les entreprises. Aujourd’hui, où en sommes-nous vraiment ?

Lors de l’événement de restitution du livre blanc co-réalisé par CGI et Finance Innovation, Stéphane Houin, Vice-Président en charge des offres digitales pour les services financiers au sein de CGI, a interrogé Pascal Le Goff, Membre du Comex du Pôle de Compétitivité Finance Innovation et Chercheur Associé des Chaires Change et INEO de l’Essec Executive Education, sur l’évolution de ces douze derniers mois. Entre retour à la réalité et maturité progressive, voici les enseignements à tirer.

Quel regard porter sur cette dernière année de transformation autour de l’IA générative ?

Pascal Le Goff : Nous avons connu une année extrêmement dense. En novembre 2022, tout s’est accéléré à une vitesse inédite. À cette époque, la situation ressemblait à une course dans un stade à moitié éclairé, où des obstacles surgissaient au fur et à mesure, avec une fréquence très élevée. Aujourd’hui, cette effervescence s’est stabilisée. Nous sommes passés d’un état instable à un état mouvant : la peinture est encore fraîche, mais des repères commencent à émerger. Nous observons notamment une structuration progressive autour de la gouvernance, avec l’émergence de coopérations internes et externes. Le sujet reste technologique, imbriqué dans les systèmes d’information et les métiers, mais il s’élargit : la fonction RH, par exemple, prend une place centrale, car les impacts humains et organisationnels se précisent. A l’Essec Exe, nous menons sur ce dernier sujet un travail académique pour éclairer les orientations à venir.

Les entreprises ont-elles sous-estimé l’ampleur du changement ?

P.L.G. : Nous pensons que oui. Beaucoup ont abordé l’IA générative sous un prisme technologique, sans anticiper la profondeur des répercussions sur les modes d’organisation, les compétences et la culture. Or, il ne s’agit pas seulement d’introduire un nouvel outil, mais de repenser des processus entiers. Il existe un écart important de maturité entre les entreprises. Certaines sont confrontées à des enjeux macroéconomiques (comme la crise énergétique l’an dernier) qui freinent leur capacité d’investissement sur ces sujets. D’autres peinent encore à aligner les directions métiers, RH, IT et innovation autour d’une vision commune.

Comment évolue la perception de la valeur ajoutée de l’IA générative ?

P.L.G. : Nous sortons peu à peu du mythe de la « solution magique ». Nous comprenons désormais que l’IA générative n’est pas une technologie unique, mais un ensemble de briques à articuler. Les usages les plus simples peuvent déjà générer de la valeur, à condition d’être bien conçus, bien accompagnés et correctement intégrés. Cette maturité s’acquiert progressivement. Elle s’appuie sur une meilleure compréhension des limites de l’IA, sur l’évaluation de son impact ESG, sur la mise en place de modèles de ROI adaptés. Le risque est de tomber dans la « vallée de la déception » si les promesses initiales ne se concrétisent pas. Nous devons donc faire preuve de lucidité et de pédagogie.

Quels sont les freins à une industrialisation à grande échelle ?

P.L.G. : Plusieurs verrous subsistent. D’abord, la gouvernance : il est encore difficile pour les Comités de Direction ou les Conseils d’Administration de positionner clairement l’IA dans leur stratégie. Ensuite, les moyens : toutes les entreprises ne disposent pas des compétences, de la data, ni de l’écosystème technologique adapté pour entraîner ou intégrer des modèles pertinents. Un autre point critique est l’éducation : trop souvent, nous confondons IA générative et IA en général. Nous devons apprendre à distinguer les cas d’usage, les modalités d’orchestration entre différentes technologies, et à sortir d’une approche purement technophile.

L’hybridation technologique est-elle bien comprise par les organisations ?

P.L.G. : Pas encore totalement. L’assemblage de solutions (modèles spécialisés, systèmes classiques, outils métiers) est complexe. Certains cas d’usage sont surdimensionnés ou mal ciblés. Il faudrait parfois commencer plus modestement, avec des objectifs réalistes et une logique d’apprentissage incrémentale. Ce travail d’assemblage nécessite une capacité à évaluer les technologies, à les comparer, à sélectionner le bon modèle au bon moment. Malheureusement, dans bien des cas, cette modularité n’est pas encore accessible aux utilisateurs métier. Nous rêvons d’un portail où nous pourrions tester nos cas d’usage sur plusieurs modèles pour identifier la meilleure réponse, la plus efficiente, y compris en matière de consommation énergétique.

Comment concilier innovation technologique et transformation humaine ?

P.L.G. : La fonction RH joue un rôle central. Il faut penser à l’accompagnement au changement, à la montée en compétences, mais aussi à la gestion des parcours professionnels. L’arrivée de l’IA générative modifie en profondeur certaines tâches. Cela soulève des questions : quels métiers vont évoluer ou disparaître ? Quels profils devons-nous recruter demain ? Comment intégrer les jeunes générations, déjà utilisatrices de ces outils, sans casser la chaîne de transmission des savoirs ?

Ces sujets sont déjà à l’étude, notamment à la Chaire RH de l’ESSEC. Nous travaillons activement à des dispositifs permettant d’articuler intelligence artificielle et capitaux immatériels humains et organisationnels.

La gouvernance de l’IA générative est-elle en train de se structurer ?

P.L.G. : Nous commençons à voir émerger des grilles de maturité, avec des axes allant de la stratégie à l’exécution. Dans le cadre de nos travaux, nous en avons proposé une à 5 niveaux. L’enjeu est d’adapter le niveau de maturité aux besoins réels de l’organisation : une entreprise de service n’a pas les mêmes attentes qu’un industriel. Il n’est pas nécessaire d’être tous au top de l’IA Gen. Ceux sont nos personae. Il faut ensuite mettre en place les conditions d’usage : chartes, formations, droits d’expérimentation. A chacun de choisir son chemin. Cela implique une réflexion stratégique mais aussi opérationnelle, avec des comités de pilotage, des priorisations, des arbitrages. Enfin, nous devons penser à la continuité : entraîner un modèle n’est pas une tâche ponctuelle. C’est un processus exigeant, qui mobilise des compétences rares, et qui soulève des questions de souveraineté et de compatibilité avec nos modèles juridiques, notamment entre les approches anglo-saxonnes et européennes.

Quels défis émergent avec les usages diffus et peu contrôlés de l’IA générative ?

P.L.G. : Le phénomène de shadow IT se transpose à l’IA générative. Des outils puissants sont accessibles en ligne, sans que les DSI n’aient toujours les moyens de les encadrer. Par ailleurs, les éditeurs intègrent de plus en plus d’IA dans leurs solutions, parfois sans avertir les utilisateurs. Cela génère des effets d’aubaine, mais aussi des risques de dérives, notamment en matière de traçabilité, de reproductibilité, de confiance dans les résultats et de souveraineté des données.

Comment transmettre les savoirs dans ce nouveau contexte ?

P.L.G. : L’IA générative multimodale (texte, image, voix, vidéo) ouvre des perspectives inédites en matière de formation, d’assistance et de transfert d’expertise. Mais elle bouscule aussi les méthodes traditionnelles de transmission. Nous devons repenser nos processus d’apprentissage, en intégrant ces nouveaux formats, tout en garantissant une compréhension fine, durable et critique des connaissances.

L’IA agentique marque-t-elle une nouvelle étape ?

P.L.G. : L’IA agentique, qui repose sur des modèles spécialisés, capables de dialoguer entre eux et de s’orchestrer automatiquement, représente une nouvelle frontière. Ce paradigme nécessite toutefois un vrai travail d’ingénierie pour articuler les modèles de manière cohérente avec les besoins métiers.

Ce qui compte, c’est que la technologie s’adapte à la fonction, et non l’inverse. Et surtout que l’humain garde le contrôle : un système peut être performant, mais ne pas répondre à un besoin réel. La création de valeur ne peut pas se réduire à la suppression de postes ; elle doit aussi permettre de répondre à des attentes émergentes, encore non adressées.

En conclusion : vers quel futur s’oriente cette transformation ?

P.L.G. : Le cœur de la réflexion repose sur le capital immatériel, humain et organisationnel. Ce sont ces fondations qui assurent la pérennité d’une entreprise. Si nous réussissons à intégrer l’IA générative de manière intelligente, responsable et pragmatique, alors nous pourrons non seulement gagner en efficience, mais aussi inventer de nouveaux modèles d’organisation, de travail et de création de valeur. L’année à venir s’annonce donc comme un moment de bascule, où il ne s’agira plus de tester ou de communiquer, mais d’exécuter, d’industrialiser et de gouverner avec discernement.